Et si on prenait le contrepied de la crise ? Est-ce le moment pour lancer son entreprise ?
Bruno M. Wattenbergh
Certains disent que c’est le bon moment de lancer sa boîte. D’accord ou pas d’accord ?
Les crises et les guerres changent les conditions et les équilibres des marchés, mais aussi les comportements des consommateurs et des entreprises. Ces changements créent des interstices, des niches d’envies et de besoins qui ne sont pas nécessairement satisfaits par les leaders du marché. C’est un formidable appel d’air pour l’innovation.
Cela a été le cas après 14-18 avec l’arrivée de Et une startup démarre toujours dans une niche … Donc oui, il y a des opportunités de marché, à la fois dans le B2B et le B2C.
Pour quelles raisons ce serait le bon moment ?
Parce que le temps de réactions des grandes entreprises ne va pas leur permettre de satisfaire rapidement ces besoins émergents, de s’adapter à ces nouvelles demandes. La startup est beaucoup plus flexible, beaucoup plus adaptative et va avoir le luxe de se concentrer sur la satisfaction de ces nouvelles demandes.
Et ces demandes, souvent, ne sont pas franchement nouvelles.
Soit, elles émergent de tendances qui étaient présentes de manière latente ou juste significative. Comme le soulignait Ben Piquard de Lean Square, en 3 mois de Covid, il y a eu un saut de 5 ans dans la concrétisation de ces tendances … qui sont devenues de réels besoins.
Soit, les niches étaient là, mais elles font avoir un taux de croissance à deux chiffres. Dans ce cas, ce qui se passe c’est que les acteurs de marchés ne peuvent pas satisfaire toute la demande. Cela laisse de la place à l’arrivée de nouveaux entrants. Mais en plus, cette niche devenant un marché, elle crée des sous-segments avec des demandes particulières qui sont autant d’opportunités pour les startups.
On imagine pourtant que le financement ne sera pas simple …
Pas nécessairement. Si beaucoup d’investisseurs ont perdu de l’argent en bourse, nombre d’entre eux ont encore pas mal de ressources financières pour investir dans de bons projets. Le pathos, l’impression que le monde change, qu’il faut proposer autre chose, le timing, la (fausse) perception du « first mover advantage », … tout cela va pousser les investisseurs à prendre plus de risques et à financer des projets.
Du côté privé, il reste de l’argent pour investir dans de beaux projets, comme l’a récemment confirmé Raphael ABOU d’Alyum.
Et surtout sur des niches qui prennent de la vitesse dans le B2B. Comme la niche existe, il y a des métriques, un passé documenté et les risques sont donc plus transparents.
Côté business angels network, c’est la même chose, Claire Munck confirme que ses anges sont toujours bien présents et continuent à examiner des dossiers, avec sans doute encore plus d’enthousiasme pour des projets liés directement ou indirectement au Covid.
Enfin, côté public, les invests régionaux ont répondu présent et travaillent même intensément pour l’instant.
Maintenant ne rêvons pas, il faut un business modèle attractif, un business plan solide et testé autant que faire se peut, des lettres d’intentions clients, voire des ventes … bref, les investisseurs ne vont pas se ruer sur n’importe quoi.
Les clients, quant à eux, risquent d’avoir moins de budgets à dépenser. Que ce soit les particuliers au pouvoir d’achat en berne (chômage en vue) ou les boîtes qui vont limiter leurs budgets …
Il y a un grand principe : un marché n’est jamais homogène, c’est une sorte de courbe de Gauss. Donc tous les consommateurs ne vont pas perdre en pouvoir d’achat et c’est le même principe pour des entreprises qui ne sont pas toutes impactées de la même manière.
Il va donc falloir choisir ses clients et surtout répondre à un vrai problème pour les entreprises, un vrai besoin de changement … et à de réelles envies ou préoccupations des clients, mais c’était déjà vrai avant la crise.
Ou bien y a-t-il des créneaux où ça vaut la peine de se lancer et d’autres qu’il vaut mieux éviter.
Les secteurs qui vont surfer sur la vague du COVID sont probablement :
- L’E-Commerce et la digitalisation de la relation-client … un enjeu dans lesquelles nos entreprises étaient encore faibles avant la crise, mais qui est et reste déterminant ;
- La connaissance et la compréhension des segments de client, grâce à un CRM et à l’Intelligence Artificielle ;
- Toutes les solutions cloud permettant de sécuriser les données et de les rendre accessible pour le travail en remote ; le « complémentateur » du Cloud qui est la cybersécurité ; toutes les application remote et interactions sans contact : la téléconférence, le téléenseignement, la télémédecine, la télé opération ;
- La formation en ligne, notamment sur toutes les méthodes agiles, mais aussi sur le mindset agile, sur les nouveaux outils remote, les suivis clients, … ;
- La consultance : sur les appli permettant d’améliorer la productivité des échanges collaboratifs ;
- L’utilisation des appareils mobiles comme l’iPad pour de la médecine à distance permettra de faire rentrer la télémédecine au cœur de nos maisons ;
- L’impression 3D et tout ce qui est « additive manufacturing » va connaître une forte croissance, poussée par les besoins de relocaliser des productions structurellement ou en stratégie de contingence ; en ce y compris les bio impressions ;
- Les jumeaux numériques qui vont permettre d’accélérer le développement de produits et de machines et les faire évoluer rapidement ;
- …
Côté B2C :
- La médecine personnalisée ;
- Des circuits courts efficaces ;
- Du conseil, pour son potager, pour sa cuisine, pour ses déchets ;
- Le lancement de communautés de partage ;
- L’interfaçage entre certaines métiers et les consommateurs (médecins, services, …)
- …
Se lancer en temps de crise, qu’est-ce que cela implique de différents pour l’entrepreneur ?
D’être encore plus focalisé sur la création de valeur, être capable de mesurer cette valeur, disposer des bons business cases démontrant cette valeur, car les entreprises, plus que jamais, veulent un retour rapide sur investissement.
Choisir les bons clients, car tous n’ont pas nécessairement le même taux d’adoption des innovations.
Choisir les bons business modèles : peu intensifs en capital, scalables, combinant produits et services, et, si possible, développant une relation long terme avec les clients.
Quels seraient les conseils pour se lancer en période de crise ?
Levez le nez ! Écoutez, parlez avec les gens … avec un regard d’anthropologue pour comprendre ce que cette crise a changé dans leurs perceptions, comment elle a fait évoluer leurs valeurs, leurs besoins, leurs désirs …
Bruno M.WATTENBERGH
EY Ambassador for Innovation